Menu Content/Inhalt
Accueil arrow Contexte de la presse écrite en langues nationales au Burkina Faso

Les concepts de "langue officielle" et "langue nationale"

« Au sens constitutionnel le plus courant, explique P.M. DUPUY, la " langue nationale " est  la langue de la nation ou du peuple. Encore faut-il qu'elle soit inscrite en tant que telle dans la constitution, c'est-à-dire officiellement reconnue comme " langue nationale ". Quant à la " langue officielle ", elle est la langue de l'État, c'est-à-dire la langue utilisée par les organes de l'État institués par la constitution et, plus largement, la langue des services publics. Au regard du droit constitutionnel, par conséquent, la langue nationale et la langue officielle ne désignent pas nécessairement une seule et même réalité linguistique ».

Les manifestations constitutionnelles de la distinction langue nationale/langue officielle caractérisent la plupart des États issus de la décolonisation. Si, pour ceux-ci, le principe de l'uti possidetis juris, qui " réside dans la transmission au nouvel État des frontières établies par le colonisateur ", est un gage de stabilité territoriale, il n'en rend pas moins malaisé, pour ne pas dire impossible, tout processus de convergence juridique des langues nationales et de la langue officielle. L'on sait, en effet, que le respect des identités linguistiques n'était pas la principale préoccupation des frontières tracées par le colonisateur. D'où cet étonnant paradoxe s'imposant à l'État issu de la décolonisation, par ailleurs souvent contraint d'édifier ex nihilo une nation unifiée et homogène de citoyens : officialiser la langue du colonisateur qui, en tant que langue véhiculaire et de la modernité, apparaît comme un instrument de réalisation de l'unité nationale à venir. On ne sera donc pas surpris de constater que les constitutions adoptant une langue officielle étrangère ou d'origine étrangère concernent, outre les États d'Amérique latine, de nombreux États africains.

La constitution du Burkina adoptée le 02 juin 1991 reconnaît toutes les langues ethniques comme « langues nationales » mais elle stipule que les modalités de leur promotion et de leur officialisation seront déterminées par la loi. Cette stipulation qui est reprise de l'article 3 du titre I de la loi fondamentale de 1978, n'a jamais connu de dispositions d'application jusqu'à ce jour. Il existe comme un vide juridique et le statut constitutionnel des langues nationales est plutôt honorifique. Le concept de langue nationale renvoie à la réalité de langue maternelle ou ethnique dans ce contexte.

Le Burkina Faso compte cinquante neuf langues (59) selon les études du Centre national de recherche scientifique et technologique CNRST, pour une population estimée à onze millions (11 000 000) d'habitants. Quatre langues sont parlées par des groupes relativement importants en nombre :


  • Le mooré, la langue des mosses, est parlé par 50% de la population et se retrouve sur tout le plateau central du pays ;
  • Le fulfuldé, la langue des peuhls, est parlé par 10% de la population, en particulier au Nord du pays, mais les peuhls étant nomades cette langue se retrouve un peu partout à travers le Burkina ;
  • Le dioula est la langue maternelle de relativement peu de personnes ; cependant c'est une langue véhiculaire, son utilisation recouvre tout l'Ouest du pays peuplé d'une multitude d'ethnies différentes ainsi que les zones frontières de la Côte d'Ivoire et du mali ;
  • le gourmantchéma, la langue des gourmantchés,  est parlé par 7% de la population.
On estime que quatorze des cinquante neuf langues sont parlées par plus de 90% de la population. Il existe des régions relativement homogènes au plan linguistique tel que le centre, le nord avec le moore et l'est du pays avec le gourmantchéma.



Le statut des langues nationales



Les communications familiales, les relations amicales ainsi que les transactions commerciales restent le domaine privilégié des langues nationales. Alors que dans le domaine public le français est la langue la plus utilisée. Pourtant ceux qui s'expriment et lisent très bien le français ne représentent que 1,09% de la population du pays.

Le français est reconnu selon la constitution comme langue officielle au Burkina Faso. Il  est la langue dominante dans le système de l'information ainsi que dans le système éducatif. Par conséquent la langue française est très valorisée et valorisante au détriment des langues nationales.

Cette situation résulte d'un passé colonial lourd de conséquences et d'une politique du nouvel Etat tournée vers l'ancien pays colonisateur. Dans sa politique d'assimilation totale, la France a clairement adopté vis à vis des ex colonies une politique de censure systématique inspirée du très célèbre rapport de l'Abbé Grégoire intitulé « La nécessité d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française ». L'école coloniale va donc stigmatiser les langues nationales appelées péjorativement langues vernaculaires ou primitives à l'avantage du français. A l'école l'élève était sanctionné s'il était pris en flagrant délit de parler la langue nationale. Cette sanction s'est manifestée chez l'intellectuel africain par un complexe : la honte de parler sa langue maternelle identifiée comme signe de ruralité, d'archaïsme, de manque d'instruction, d'ignorance.

Après les indépendances cette situation va perdurer et entraîner la marginalisation des langues nationales. Les politiques nationales vont l'exploiter en brandissant les sources potentielles de conflits ethniques. D'autres vont utiliser la multiplicité et la diversité des langues au Burkina pour déprécier ou décourager toute tentative d'insertion des langues nationales dans la vie publique.

Ces langues se voient réduites à des fonctions mineures et secondaires ; elles jouent un rôle utilitaire dans les rites et pratiques culturelles.  Au plan de l'éducation elles sont utilisées dans l'alphabétisation des adultes. Au niveau social, les langues nationales ne jouent qu'une fonction identitaire et intégrative dans la mesure où leur pratique permet au locuteur de connaître les valeurs culturelles des groupes ethniques d'une part et d'autre part d'affirmer son appartenance à un groupe ethnique particulier .

«La majorité des Africains sont gouvernés dans une langue qu'ils ne comprennent pas...» estime Gérard KEDREBEOGO qui pose la question suivante : quelle peut être l'efficacité d'un pays lorsque 90 % de sa population est illettrée dans la langue officielle ? «gouverner, administrer, rendre justice, éduquer, démocratiser à travers une langue que le plus grand nombre de citoyens ne comprend pas défie le bon sens et crée un hiatus entre la base et le sommet. Le simple déficit de communication peut hypothéquer tout effort de développement ».

Dans cette optique, l'utilisation des langues nationales dans les médias modernes constitue un enjeu majeur, en particulier pour le Burkina Faso, qui par ailleurs, a placé le développement rural au rang des priorités nationales.




Le contexte de l'alphabétisation


En 1965 s'est tenu le congrès international de Téhéran organisé par l'UNESCO. Ce congrès souligne avec force que «  le combat contre le sous développement pose l'impératif absolu du combat contre l'analphabétisme ». Pour l'UNESCO il y a un lien entre le sous développement et l'analphabétisme, il affirme qu'aucun pays ne peut prétendre se développer en dessous d'un seuil critique de 30% d'alphabétisés. Les premières expériences systématiques d'alphabétisation au Burkina Faso remontent à 1967. Ainsi, après 40 ans de mesures en faveur de l'alphabétisation, on estime le nombre d'alphabétisés à environ 25 % de la population.

La stratégie nationale d'alphabétisation a institué la méthode dite « classique », s'articulant autour de trois phases :

 

  • L'alphabétisation initiale (AI): en 300 heures théoriquement, permet à la personne qui apprend d'avoir la maîtrise des mécanismes de base (lecture, écriture, calcul);
  • La formation complémentaire de base (FCB) en 200 heures est une consolidation des acquis du niveau antérieur et une formation qui dispense des cours dans les domaines de la langue, les mathématiques, la santé, l'agriculture, l'élevage, l'environnement, l'histoire, la géographie et le civisme;
  • La formation technique spécifique (FTS), programmer à la demande des associations et groupements villageois, permet aux apprenants ayant suivi la FCB d'acquérir des connaissances leur permettant d'exercer des fonctions ou d'assumer des responsabilités au sein de la communauté.

Mais dans la stratégie d'alphabétisation il n'est pas développé une stratégie de post-alphabétisation. Le néo-alphabète est démuni car il ne dispose pas de matériels pour consolider ses acquis. L'environnement lettré, les structures d'édition de documents de post-alphabétisation sont quasi inexistantes. Et quelques années après la phase active de l'alphabétisation, l'alphabétisé retombe dans un analphabétisme de retour. Les alphabétisés courent donc le risque de ne plus savoir lire et écrire dans les langues dans lesquelles ils ont été formés.

[Retour en haut de page]